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Hélène Yapo-Etté, professeur titulaire à l'UFR des sciences médicales à l'Université Félix Houphouet-Boigny fait partie des six médecins légistes dont dispose la Côte d’Ivoire. A quelques jours du congrès africain de la médecine légale qui se tient à Yamoussoukro, elle nous parle d’une spécialité peu médiatisée. Sans trahir le secret de l’instruction, le professeur lève un coin du voile sur la gestion des morts issus de la crise postélectorale en Côte d’Ivoire.

Qu'est ce que la médecine légale ?

 

La médecine légale est une spécialité médicale à part entière. Ce n'est plus une spécialité adjuvant de la médecine. Le premier domaine est celui de la thanatologie. C'est pour cela qu’on dit que le médecin légiste légal est le médecin des morts. Il s’agit de l’étude des causes et des circonstances de survenue de la mort d'un individu. Est-ce une mort naturelle ? Est-ce une mort criminelle ? Est-ce une mort suicidaire ? Est-ce une mort accidentelle ? La mort subite est une mort suspecte. Quand c'est une mort suspecte, on va faire la thanatologie.

 

 

Et quel est le deuxième volet auquel votre spécialité s’intéresse ?

 

Le deuxième volet est la médecine légale clinique et biologique judiciaire. Ce volet intéresse les personnes vivantes violentées, qui ont subi des violences, des traumatismes. Un traumatisme peut être aussi corporel que psychologique. Par exemple, une femme qui a subi une agression sexuelle, elle a des violences corporelles simples mais elle a aussi des troubles psychiques. C'est une personne qui est craintive. Toutes les personnes vivantes violentées ou agressées ont besoin d'être évaluées. Si elles veulent porter plainte, le juge n'ayant aucun moyen de vérifier leur dire, il appartient au médecin légiste d’évaluer les circonstances. Après analyse, il dira s’il y a eu intervention ou pas d'une tierce personne. Il va aussi évaluer la victime pour vérifier l'authenticité des lésions. Mais il ne va pas se substituer au juge. C'est le juge qui qualifie l'infraction. Le médecin donne des éléments au juge pour lui permettre de dire le droit. Dans ce cas, il est expert Technique simulé. Il est technicien de justice.

 

Le troisième volet est ce qu'on appelle éthique et déontologie. C’est le médecin légiste qui forme les médecins à la bonne pratique médicale pour qu’il mette au cœur de ses actions le respect de la personne humaine. C’est vrai que c’est le rôle du conseil de l’ordre des médecins, mais le médecin légiste aussi forme à cela. La médecine légale est ouverte aux autres disciplines. C’est la discipline de type transversal. Tout médecin, même s’il n’est pas habilité à faire des autopsies forcément, doit avoir à l’esprit de respecter la personne humaine dont il s’occupe éventuellement.

 

 

A quelle fréquence le médecin légiste est-il consulté en Côte d’Ivoire ?

 

Ici en Côte d’Ivoire, nous sommes beaucoup saisis en matière de thanatologie. Sur le plan thanatologique, le pays est très bien équipé. Quand il y a mort d’homme et que le tribunal, parfois la famille, ou bien peut-être l’assurance a besoin de savoir dans quelle circonstance cela s’est passé, notre intervention est requise. Nous réalisons, en moyenne, entre 80 et 110 autopsies par an. Sur le plan des dommages corporels, c’est moins connu. Nous sommes rarement sollicités par les personnes violentées. C’est dommage et nous le déplorons.

 

 

Nous reviendrons sur les cas des personnes violentées. Mais déjà, pourriez-vous indiquer si les requérants sont toujours satisfaits des résultats des autopsies ?

 

Sur le plan de la cause du décès, sur le plan de la prise en charge, nous pensons qu’ils sont satisfaits. Seul, un légiste peut se tromper. Il faut qu’il travaille avec un autre médecin. Et quand il voit par exemple un infarctus du myocarde, il voit bien que les artères du cœur sont bouchées. Mais c’est toujours préférable de soutenir cette vision avec l’examen microscopique. J’apprécie les choses en tant que légiste avec mon œil nu, c’est-à-dire observation directe. Maintenant il y a une observation sur le plan microscopique. On confie cela à un autre spécialiste qu’on appelle l’anatomo-pathologiste qui n’est pas légiste. Mais lui il regarde les lésions, les pièces qu’on lui confie. Un infarctus peut être bouché par un caillot de sang ou de la graisse. Là, il va situer le diagnostic du légiste. Les examens complémentaires, anatomo-pathologiques, toxicologiques font que l’autopsie prend du temps.

 

Combien de temps attendre pour obtenir les résultats d’une autopsie?

 

Cela peut prendre un mois ou un mois et demi. Pour éviter que les familles se fâchent, on leur explique que ça peut prendre du temps. Dans un premier temps, on peut faire un rapport préliminaire. Mais parfois, ces rapports préliminaires ne disent pas tout. C’est toujours sous réserve des examens complémentaires. Donc ce n’est pas très bien.

 

Pourquoi ?

 

On a souvent des cas conflictuels entre mari et femme par exemple. On dit qu’il a battu sa femme. La famille de la femme va donc porter plainte. On va faire l’autopsie contradictoire, c’est-à-dire devant tout le monde. S’il n’y a pas de traces de coups, tout le monde voit. S’il y a des traces de coups, tout le monde voit également. Parfois, les traces de coups, une personne qui évolue dans un milieu de violence, une femme qui est battue régulièrement, surtout les coups sur la tête, quand on va ouvrir le crâne, on va voir sur le cuir chevelu des hématomes, c’est-à-dire des lésions hémorragiques qui sont d’âge différent parce que le sang évolue. On va dire que cette femme évolue dans un contexte de violences mais on n’a pas trouvé de lésions traumatiques récentes. Mais par contre, on va regarder l’estomac et on voit un truc bizarre. Elle peut en avoir marre et elle se suicide. C’est une cause indirecte de décès mais elle a décidé de se suicider. J’ai eu des cas comme ça.

 

Est-ce qu’il y a des découvertes surprenantes que vous avez faites ?

 

Tout à fait, on a des découvertes surprenantes où on nous dit coups et blessures et quand on analyse, la personne est malade. Elle a fait une mort subite. Parfois, on dit que c’est dans un milieu de violences. Les gens diront qu’elle est tombée ou elle a été tapée. On peut aussi savoir si une personne a été tapée ou si elle est tombée, c’est-à-dire mécanisme direct ou mécanisme indirect. Mécanisme direct, c’est quelqu’un qui prend le bâton et tape la personne. Mécanisme indirect, c’est la personne qui va tomber contre l’objet. C’est le corps qui se déplace contre l’objet. Mais aussi, elle peut pousser quelqu'un qui va tomber sur un objet. Ça, on arrive à le dire. La médecine légale apaise les conflits. Quand la vérité est sue, ça apaise les conflits. Parfois, les gens ne sont pas très contents. Mais la science ne ment pas. Aujourd’hui, la justice ne peut pas statuer sur la preuve par l’aveu. Il peut arriver que la personne avoue mais la personne peut être torturée et elle va avouer. Quand la preuve scientifique est là, il n’y a pas photo.

Interview réalisée par Jean-Yves KOUAKOU

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