
Présente-tois aux visiteurs de reggaeslam.com
Je suis Guei Pierre Mendel à l’Etat civil, ou Peter pour les amis. Je suis enseignant
de formation, professeur d’Anglais pour être plus précis, marié et père de deux
enfants. Je suis aussi doctorant à la Sorbonne (Université Paris IV).
Qu’est-ce qui justifie ta passion pour le reggae, autrement dit, qu’est-ce que
tu y trouves ?
J’aime la musique Reggae pour plusieurs raisons. D’abord parce qu'elle va au delà
des clivages raciaux et des barrières géographiques pour véhiculer un message
universel. Elle nous instruit en s’inspirant des faits que nous vivons au quotidien,
et particulièrement de nos difficultés sociales, tout en tenant compte de l’histoire
africaine. Enfin, elle fait allégeance à un Dieu africain pour les Africains (Ras Tafari).
Et le fait que cette musique fasse la promotion des valeurs culturelles africaines
est pour moi un grand plus, surtout dans un monde où on avait fait croire à
l’homme noir qu’il n’avait pas de spiritualité, et que le Dieu noir était mort.
(cf. Jah No Dead, Burning Spear).
C’est parti comment ? Racontes-nous l’anecdote ?
C’est mon grand-frère Gueu Dan Pierre qui gère actuellement une petite sono à Logoualé ma ville natale et son ami feu Vié Robert (Bob) qui m’ont transmis le virus du Reggae. J’avais entre 8 et 10 ans et étais écolier à l’EPP3 de cette ville situé à l’ouest de la Côte d’Ivoire. Ils aimaient beaucoup écouter Bob Marley, Peter Tosh, Burning Spear et U-Roy avec son fameux Go There Natty, pendant les vacances.
C’est ce qui m’a influencé et fait aimer le Reggae. Ils avaient même fait confectionner des instruments de musique de fortune et aimaient souvent se retrouver pour jouer dans notre cour familiale. Je ne comprenait pas les paroles parce qu’à cette époque les chansons Reggae étaient exclusivement en Anglais mais quelques amis dont feu Duégnon Honsséibo Thomas (Glossoua) et moi les regardions jouer avec plaisir. Depuis cette passion n’a fait que s’accroître avec le temps jusqu’aujourd’hui.
Ton projet majeur actuellement c’est la sortie de ton livre. Tu nous en parles un peu ?
Oui, en ce moment j’écris un livre sur le message reggae et la spiritualité rasta. J’y travaille depuis un bon moment déjà. En Afrique et particulièrement en Côte d’Ivoire, beaucoup dansent au son du Reggae mais ne savent malheureusement pas ce que disent les paroles. C’est ce qui m’a motivé à écrire ce livre. L’idée m’est venue quand je travaillais à Tanda en Côte d’Ivoire comme professeur d’Anglais. Le livre a pour but d’explique le message reggae, faire le lien avec le combat des Rastas pour l’émancipation de l’Afrique et mieux expliquer la spiritualité à l’origine de cette musique. Bob Marley qui n’est plus à présenter, et Peter Tosh qui mérite d’être mieux connu en sont les figures principales. Son but ultime est de démontrer l’actualité mais aussi l’originalité du combat des Rastas. C’est plutôt un manuel pédagogique. La première édition cible le lectorat francophone dans un premier temps, mais il
sera par la suite traduit dans une dizaine d’autres langues si possible dont l’Anglais, l’Espagnol, le Portugais, l’Arabe, le Russe pour ne citer que ces cinq. Sa rédaction a pris du temps parce que quelques voyages étaient nécessaires. Mais la première mise en page vient d’être faite et je crois que la sortie est pour bientôt. Juillet et août étant des mois de vacances, je peux raisonnablement penser à septembre ou octobre. Il paraîtra d’abord en France chez les Editions Anibwe basées à Paris, mais la dédicace africaine qui sera la plus importante est prévue entre octobre et novembre à Abidjan cette année. On m’annonce aussi qu’il faut nécessairement qu’une dédicace populaire ait lieu à Yopougon et à Abobo parce que le Reggae est la musique du peuple. Je crois que je vais y réfléchir. Les informations supplémentaires vous seront données en temps opportun.
L’on entend dire ça et là qu’Abidjan est la 3e capitale mondiale du reggae. Crois-tu en cette hypothèse ? Qu’est-ce que cela suscite chez toi comme sentiment ?
Abidjan est la troisième capitale mondiale du Reggae. Oui, c’est tout à fait justifié. C’est une fierté pour moi de savoir que mon pays d’origine occupe ce rang honorable. Que Abidjan est la troisième capitale du Reggae n’est plus de l’ordre d’une hypothèse, c’est une réalité, une vérité. J’irai même plus loin pour dire qu’Abidjan est la deuxième et non la troisième capitale. Le classement qui faisait d’Abidjan la troisième capitale du Reggae est caduc. Les informations que nous avons mais aussi la réalité sur le terrain (parce que nous voyageons et observons), font passer Abidjan de la troisième à la deuxième place. Je m’explique. Si le rang de première capitale mondiale du Reggae attribué à Kingston la capitale de la Jamaïque ne peut être contesté, les faits et la réalité du terrain confirment qu’aujourd’hui, c’est bel et bien à Abidjan et non à Londres que revient la place de deuxième capitale mondiale du Reggae. J’ai été à Londres et discuté de cette question avec Michael Maestro un Jamaïcain, responsable de Maestro Records installé à Pecham. Nous avons eu les mêmes points de vue sur cette question. En effet la deuxième place accordée de facto à Londres est le résultat d’une certaine perfusion culturelle et musicale jamaïcaine. C’est grâce à l’apport des immigrés Jamaïcains au Royaume Uni que Londres tenait ce rang de deuxième. Il n’est donc pas le résultat d’un phénomène propre à l’Angleterre parce que les acteurs ne sont pas anglais mais Jamaïcains. Contrairement à Londres les Rasta Abidjanais et animateurs du Reggae ivoiriens sont à 98% ivoiriens et d’origine ivoirienne. Voilà la différence. Si on arrêtait aujourd’hui la perfusion jamaïcaine, parce que tous les Jamaïcains ne sont pas Anglais, Londres pourrait se retrouver à la cinquième ou à la sixième place. C’est comme si on vous dit que Paris est la deuxième capitale du couper décaler ou du Zouglou. Quels sont ceux qui font le coupé décaler et le Zouglou en France ou à Paris ? Ce sont les Ivoiriens. Voilà la réalité.
Certains disent que le reggae est en perte de vitesse depuis quelques temps à Abidjan. Quel regard pourrais-tu jeter sur cette situation et quelles sont tes propositions pour une meilleure gestion de notre reggae ?
Je m’inscris en faux contre cette affirmation. Le Reggae n’est pas en perte de vitesse en Côte d’Ivoire. C’est le contraire que nous voyons. Depuis quelques temps on remarque plutôt un retour en force de cette musique au devant de la scène musicale ivoirienne. Cela se manifeste sur le terrain par l’arrivée des nouveaux artistes, masculins et féminins (Tom D Genese, Vogh Roshley, Queen Adjoba le groupe Kingson Gang Star) dont les travaux s’ajoutent à ceux de leurs devanciers comme Alpha Blondy, Tiken Hah Fakoly, Ismaél Isaac, Beta Simon, Ras Godoy Brown, Jim Kamson… Au niveau des espaces dédiés à cette musique nous avons le Central Park, Parker Place, Le Champion, Jamaican City etc, sans oublier les chaînes comme Zion FM, Reggae Jam et Alpha Blondy FM. Nous sommes à l’ère de l’Internet et cette émergence musicale est accompagnée par les sites Internet comme Reggae2babi.com et Reggaeslam.com. Ce sont là des signes qui démontrent que le reggae a plutôt le vent en poupe en Côte d’Ivoire et la musique elle-même se porte bien à mon avis. Là où il y a problème c’est l’inadéquation entre le message et l’attitude de certains faiseurs amateurs et même promoteurs de cette musique. Il y a plutôt incompatibilité entre le message de certains de nos Reggaemen et le message rasta qu’ils sont sensés véhiculer. Et c’est pourquoi le message ne passe pas comme cela devrait être. C’est ce qui met le reggae dans l’impasse en Côte d’Ivoire et c’est vraiment dommage. Il y a des espaces Reggae partout à Abidjan mais le Reggae n’est pas une musique de fête. Elle est avant tout une musique de réflexion, de conscientisation et d’émancipation par l’action. C’est pourquoi je trouve assez dommageable qu’on réduise souvent cette noble musique à son aspect financier. J’estime que le secteur peut et doit être mieux organisé.
Au niveau des propositions, j’estime que les autorités actuelles, les ministres Dosso Moussa et le ministère de la culture font ce qu’ils peuvent déjà pour cette musique. Avec les deux éditions du Festival de Reggae (Abi Reggae), ils ont donné à cette musique une autre dimension et doivent être félicités et encouragés. Personne ne l’avait fait avant eux. Il appartient aux différents promoteurs de spectacles de faire leur part du sacrifice. La musique reggae est une mine inépuisable, mais les différents aspects de cette musique sont rarement explorés. Plusieurs thèmes peuvent être développés et traités à partir de cette musique y compris la réconciliation. Ceux qui aiment la musique Reggae doivent y apporter leur contribution en continuant d’aller aux concerts. Mais c’est aux artistes faiseurs de Reggae que revient la plus grande tâche. Non seulement ils doivent être solidaires entre eux et du peuple, mais ils doivent continuer à jouer leur rôle d’éveilleur de conscience et veiller particulièrement à ne pas diluer le message du Reggae.
Un message particulier aux promoteurs de spectacles, aux artistes eux-mêmes et, pourquoi pas, aux passionnés comme toi ?
Je crois sincèrement que le reggae a de beaux jours devant lui et j'encourage tous les amateurs et promoteurs de cette musique à chercher à mieux comprendre le message qu’elle véhicule. Je les encourage surtout à mettre ce message en pratique. Je vous remercie.
Entretien réalisé par Coco Joyce


Pierre Mendel Guei
"Abidjan est la 2e capitale mondiale du reggae. Je confirme"
